Lettre à l'Inspection du Travail au sujet du PSE 2014 (10 décembre)
Madame xxxxxxxxx (*)
Directrice Régionale Adjointe
Responsable de l’Unité Territoriale des Hauts de Seine
Pôle Mutations économiques, DIRECCTE
13 rue de Lens
92 000 NANTERRE
Objet : PSE SAP France
Copies :
Mme xxxxxxx Correspondante, département mutations économiques
Mme xxxxxxx Attachée Principale d’Administration, responsable du département mutations économiques
Mme xxxxxxx Directrice du Travail, responsable du pôle Entreprise, Economie et Emploi
M. xxxxxxx Inspecteur du travail de la 8ème section des Hauts de Seine
M. xxxxxxx Fédération des sociétés d’études CGT
A Levallois-Perret, mercredi 10 décembre 2014
Madame,
Lors de notre réunion du 6 novembre 2014 en vos locaux et par courrier en date du 19 novembre 2014, nous avons attiré l’attention de la Direccte sur les problèmes posés par le projet de PSE de SAP France. Le Comité d’Entreprise ayant rendu un avis lors de sa réunion du 3 décembre dernier, nous présumons que la direction de SAP France a déposé le document définitif au sens de l’article L.1233-24-4 du Code du travail. C’est pourquoi nous nous permettons de vous adresser les éléments d’informations suivants.
Pour plus de clarté dans notre exposé, nous tenons à vous faire part de nos remarques à l’aune des critères mentionnés dans l’article L.1233-57-3 du Code du travail.
Au regard des moyens dont dispose l’entreprise
Même en réduisant « l’entreprise » à la seule entité juridique SAP France SA, il faut garder à l’esprit qu’elle dispose d’une trésorerie nette de 970 millions d’euros fin 2013. Sa capacité à dégager annuellement de la trésorerie libre varie de 165 à 200 millions d’euros (Rapport de l’expert-comptable SYNDEX auprès du CE sur l’analyse des comptes, Tome 2 page 29).
Cette richesse financière s’amasse année après année, quand elle ne fait pas l’objet de distributions de dividendes. Elle s’accumule malgré une remontée de plusieurs centaines de millions d’euros par an de redevances et de licences vers la société allemande tête de groupe (278 millions en 2013 et 324 millions prévus en 2014, Rapport de l’expert-comptable SYNDEX auprès du CE sur l’analyse des comptes, Tome 2, page 21).
Les moyens gigantesques de la société SAP France ne se traduisent absolument pas dans les moyens mis en œuvre pour assurer l’employabilité et le reclassement des salariés qui seront contraints au départ. Que représentent 10 000 euros de financement de création ou de reprise d’entreprise pour un salarié cadre licencié ? Que montre un budget de « formation d’adaptation » de 6 000 euros quand 5 jours de formations SAP ont un prix catalogue de 3 200 euros ?
Les derniers bilans sociaux de SAP France nous montrent chaque année que la masse salariale annuelle totale divisée par l’effectif moyen est environ de 100 000 euros (Bilan social SAP France 2013 page 19). Le bénéfice net est, quant à lui, égal à 107 000 euros par salarié en 2013. Or la courbe d’indemnisation établie par SYNDEX à la page 141 de son rapport relatif au PSE montre que 22 départs risquent, en l’état actuel du PSE, d’être indemnisés à moins de 20 000 euros. (Rapport de l’expert-comptable SYNDEX auprès du CE sur le PSE, page 142). Si ce chiffre peut sembler standard au regard d’autres PSE en France, il faut le rapporter aux capacités de l’entreprise où le salaire brut de base mensuel moyen est de 5 871 €.
Assurément, au regard des moyens dont dispose l’entreprise, le PSE établi par SAP France donne l’illusion formelle de répondre aux exigences légales. Cependant il est bien en deçà des capacités de l’entreprise. Cette illusion est d’ailleurs entretenue par un document bien « habillé », mais dont les mesures présentées risquent de ne pas être effectivement réalisées comme nous allons le montrer plus loin.
Au regard de l’importance du projet de licenciement
Ses moyens financiers, sa structure organisationnelle, les moyens matériels à sa disposition et sa situation économique prévisionnelle sont tels que SAP France peut facilement reclasser en interne les 56 salariés dont les postes sont supprimés, soit par création d’activités compte tenu de sa croissance soit après formation-adaptation à des postes laissés vacants (Rapport de l’expert-comptable SYNDEX auprès du CE sur le PSE, page 5).
En effet, ces 4 dernières années, l’effectif de SAP France oscille entre 1461 et 1504 personnes. Les départs, quant à eux, oscillent entre 117 et 165 par an (Rapport de l’expert-comptable SYNDEX auprès du CE sur le PSE, pages 17 et 18). Depuis le début de l’année, nous avons comptabilisé 30 entrées en CDD et 152 entrées en CDI dont 78 entrées proviennent d’autres entités du groupe SAP. A l’opposé nous avons comptabilisé 139 départs, dont 25 sorties vers d’autres entités du groupe SAP. Que représentent 56 suppressions de postes parmi tous ces mouvements d’effectifs sur plus de 2000 personnes travaillant pour les sociétés du groupe SAP en France ?
Enfin les bilans sociaux de SAP France montrent que, chaque année plus d’une centaine de travailleurs extérieurs sont présents chez SAP France. Pour les seules activités liées au Conseil et au développement on compte même de 26 à 52 équivalents temps plein ces 3 dernières années.
Faut-il donc vraiment se fier à l’annexe II au livre I, recensant les postes créés en France, quand elle ne compte que 20 postes à pourvoir prochainement chez SAP France ? Les propositions de postes en France sont ridiculement basses au vu des mouvements usuellement constatés.
Enfin l’étude des mouvements d’effectifs en 2013 (Rapport de l’expert-comptable SYNDEX auprès du CE sur l’analyse des comptes, Tome 1 pages 22 à 24) et celle sur le rapprochement du suivi des effectifs entre les directions RH et FINANCE (même rapport, Tome 1 pages 30 à 35) montrent que les 56 postes à supprimer sont du même ordre de grandeur que l’incertitude comptable du nombre de postes dans l’entreprise. En effet il existe un écart de 47 postes entre les données DAF et les données RH !
Compte tenu de tous ces éléments, nous restons persuadés que SAP France sait gérer 56 suppressions de postes sans avoir recours à la mise au chômage (et donc à la charge de la collectivité nationale) de plusieurs dizaines de salariés !
Au regard des efforts de formation et d’adaptation prodigués par l’entreprise
SAP France n’a pas réalisé « tous les efforts de formation et d'adaptation » au sens de l’article L.1233-4 du Code du travail. Depuis plusieurs années les dépenses de formation ne font que baisser. Le pourcentage de salariés non formés augmente et le nombre de jours de formations par salarié baisse. En 2013, les dépenses de formations sont même inférieures de 315 000 euros (soit 9%) au plan de formation prévu (Rapport de l’expert-comptable SYNDEX auprès du CE sur l’analyse des comptes, Tome 1 pages 82 à 85).
Nous constatons depuis des années (au travers des bilans sociaux SAP France et des PV du CE sur la formation) que SAP France n’assure pas l'adaptation des salariés à leur poste de travail. Il ne veille ni au maintien de leur capacité à occuper un emploi, ni à l'évolution des emplois, des technologies et des organisations. Les études SYNDEX ont donc clairement montré que SAP France n’a pas respecté l’article L.6321-1 du Code du travail. Comment l’employeur SAP pourrait-il mettre en œuvre lors d’un PSE, ce qu’il n’a pas réalisé depuis des années ?
Tout cela est corroboré, chez SAP France, par l’absence de négociation de GPEC depuis plus de 3 ans. Or si la jurisprudence (arrêt du 30 septembre 2009) a considéré que l’existence d’une GPEC ne conditionne pas la régularité d’une information –consultation du comité d’entreprise sur un PSE, elle semble se prononcer sur le lien entre GPEC et justification des licenciements économiques au sens de l’article L.1233-4 du Code du travail dans le récent arrêt SFR du 18 juin 2014.
C’est pourquoi nous ne comprendrions pas qu’un PSE formel et astucieusement présenté par SAP puisse être homologué alors que l’employeur SAP a délibérément refusé de remplir ses obligations en matière de formation et d’adaptation de ses salariés.
Au regard des catégories professionnelles du plan
L’absence de négociation de la GPEC ne peut être le résultat d’une négligence excusable de la part de SAP. En effet, comme nous vous le mentionnions dans notre courrier du 19 novembre 2014, il existe au niveau Monde une cartographie des emplois - dénommée Global Job Architecture. Celle-ci est censée permettre d’apprécier objectivement la nature des postes, la caractérisation des fonctions occupées et ainsi conduire à une bonne définition des catégories professionnelles concernées. Mais elle n’a jamais été travaillée au regard de la règlementation française. C’est pourquoi les catégories professionnelles définies dans le PSE ont été si souvent modifiées et ce jusqu’à la veille de la réunion finale du 3 décembre 2014.
Les catégories professionnelles nous paraissent tout à fait inadaptées. Les représentants du personnel n’ont jamais eu les informations permettant de vérifier la pertinence des catégories. Les libellés de postes sont fournis en anglais. Ils ne correspondent pas aux feuilles de paie des salariés. Comme nous vous le signalions dans notre courrier du 19 novembre dernier, ceci est attentatoire aux droits des salariés, en particulier à celui de leur défense, s’ils voulaient contester leur catégorie de rattachement.
En particulier, notre connaissance de l’entreprise nous permet de constater que la catégorie « support vente » ne rassemble pas toutes les fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune. En effet les consultants après-vente (environ 200 personnes) effectuent très souvent des missions de support à la vente dans le cadre de leurs activités courantes. Depuis des années on assiste à des transferts de personnel du support à la vente vers le conseil et inversement. Ces fonctions requièrent les mêmes compétences sur les produits SAP. Cependant les consultants après-vente n’ont pas été intégrés dans cette catégorie que l’on aurait pu appeler : « Consultants ». Faut-il y voir une segmentation délibérée compte tenu de la prochaine restructuration des activités de consulting en janvier 2015 connue sous le nom de « One Service » ?
Au regard des modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise et des CHSCT
Il suffit de lire la délibération adoptée par le CE le 3 octobre 2014 pour constater que les carences identifiées du PSE n’ont jamais été comblées par la procédure de consultation. Pour s’en convaincre la lecture de la note de synthèse globale ouvrant le rapport de l’expert CE est édifiante. Le cabinet Syndex souligne que son rapport comprend de nombreuses questions qui appellent un complément d’informations. Or ce rapport a été présenté le 18 novembre 2014 soit 45 jours après le début de la procédure et 15 jours avant l’expiration de la période de consultation du CE. Le CE n’a donc pas pu bénéficier pleinement de son droit à expertise. SAP a suivi une procédure formelle mais en toute mauvaise foi.
Quant aux CHSCT, le rapport de l’expert appointé par l’instance de coordination indique clairement en page 4 : « les conditions de travail pour les personnels restants et les conditions de leur analyse future ne sont pas abordées ». Faut-il être plus clair pour dire que les CHSCT n’ont pas été consultés sur les risques de RPS liés à ce plan de licenciement ? Là encore les éléments de conclusion du rapport sont édifiants (Rapport de l’expert ISAST du CHSCT portant sur le PSE pages 3 à 10).
Au regard du respect des critères d’ordre de licenciement et de la mise en œuvre effective des mesures présentées dans le plan
Tout au long de la procédure de consultation, nous avons eu des indices comme quoi, non seulement la direction SAP n’est pas certaine de sa définition des catégories professionnelles, mais aussi qu’elle n’a pas l’intention de respecter les critères d’ordre de licenciement à l’intérieur des catégories. Les propos tenus pare madame Vxxxx, DRH Groupe SAP France, en réunion de CE du 7 novembre 2014 le confirment :
« Vxxxx Vxxxxx prend l’exemple d’un salarié dont le poste est supprimé qui prendrait un poste laissé vacant par le salarié désigné par les critères de licenciement. Se pose alors la question de savoir si le salarié accepte de prendre ce poste. S’il refuse par convenance personnelle, il n’a aucune légitimité à bénéficier des mesures du PSE, sauf si une étape supplémentaire est prévue. Si tel n’est pas le cas, deux salariés partiraient dans le cadre du PSE, ce qui n’est pas normal. Il faudra donc vérifier que le poste libéré par le salarié désigné sera bien occupé par le salarié dont le poste est supprimé. Si le salarié dont le poste est supprimé refuse le poste libéré, le salarié désigné par les critères de licenciement ne sera pas licencié et le salarié qui refuse le poste devrait bénéficier des mesures du PSE. » (PV CE du 7 novembre 2014, pages 35 et 36 »
Et madame Vxxxxx d’ajouter plus loin : « ceci n’est possible qu’en bloquant la personne désignée par les critères » (PV CE du 7 novembre 2014, pages 36).
Ce comportement de l’employeur SAP est d’autant plus probable que la jurisprudence refuse d’assimiler un licenciement décidé en violation des règles sur l’ordre des licenciements à un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 7 février 1990, Bil civ V n°51).
Au travers de tous les échanges que nous avons eu avec la direction SAP France en réunion de CE, nous pouvons mettre en doute la volonté de l’employeur d’appliquer les mesures présentées dans le plan. Comme pour le processus de traitement des départs volontaires, la direction SAP France affiche sa volonté de gérer subjectivement les départs.
Pour vous permettre d’apprécier notre position, nous vous transmettons tous les PV de réunion de CE communiqués aux salariés et le projet de PV du 18 novembre 2014 connu à ce jour. Nous déplorons que les PV communiqués aux salariés ne soient pas signés. Nous espérons que ceux qui vous ont été transmis par la direction de SAP sont identiques à ceux-ci.
Au regard de l’absence de calendrier de licenciements
La page 59 du document PSE présenté par la direction de SAP mentionne le paragraphe suivant : « Calendrier des départs et des licenciements ». A notre sens ce paragraphe ne correspond ni à la lettre, ni à l’esprit de l’article L.1233-24-2 du Code de travail.
Ce paragraphe n’est ni précis, ni cohérent avec le volet de départ volontaire, ni même respectueux de la bonne application des critères d’ordre de licenciement.
En conclusion nous pourrions reprendre les propos tenus par Monsieur Stefan RIES, le responsable RH monde de SAP dans un entretien accordé à des journalistes : « Notre croissance nous permet de reclasser les salariés concernés avec l’aide de formations et de requalifications ». (Voir la copie de l’article en allemand et de sa traduction).
Par conséquent, et au vu de tous les éléments que nous vous avons rappelés précédemment, il serait incompréhensible que SAP procède à des licenciements contraints qui mettraient à la charge de la collectivité le soin de reclasser les salariés.
SAP en France bénéficie déjà d’une exonération fiscale ultra avantageuse pour ne pas dire scandaleuse qui représente environ 50 millions d’euros par an. Nous avons alerté notre Représentation Nationale sur ce sujet. Certains députés ont même agi auprès du Ministre de l’Economie afin d’obtenir des réponses aux questions politiques que cela pose (voir le courrier de Monsieur le Député Alain BOCQUET).
Quelle que soit la décision de l’administration relative à ce plan de sauvegarde de l’emploi, nous assurerons la communication de cet évènement absurde concernant la vie de notre entreprise ultra profitable.
Nous restons à votre disposition pour vous apporter toutes précisions utiles sur ce projet de destruction d’emplois.
Avec nos respectueuses salutations
xxxxxxx, DS CGT de l’UES SAP France, élu titulaire au CE
xxxxxxx@sap.com Mobile : xx xx xx xx xx
xxxxxxx, DS CGT de l’UES SAP France, DP titulaire
xxxxxxx@sap.com Fixe : xx xx xx xx xx
(*) pour raison de confidentialité, les noms ont été volontairement cachés.